
14 / LE MONDE / SAMEDI 11 NOVEMBRE 2000 b
FAUT-IL encore manger de la
viande de bœuf en France ? En dépit
des déclarations rassurantes formu-
lées par les responsables sanitaires la
méfiance se généralise, la cacopho-
nie politique et professionelle ne ces-
se de grandir tout comme la menace
de mesures d’embargo contre les
produits bovins français. Jeudi
9 novembre, Martin Hirsch, direc-
teur général de l’Agence française de
sécurité sanitaire des aliments (Afs-
sa) a déclaré qu’il n’y avait pas « d’élé-
ments nouveaux qui puissent justifier
les inquiétudes soudaines sur la viande
bovine telle qu’elle est vendue sur le
marché actuellement ». « Le muscle et
le lait sont des produits pour lesquels il
n’a jamais été retrouvé d’infectiosité
chez les bovins, soit de manière expéri-
mentale soit de manière naturelle ,a
souligné M. Hirsch. La vigilance à
l’égard de l’encéphalopathie spongifor-
me bovine est légitime. L’Afssa s’efforce
au fur et à mesure de réévaluer le dis-
positif de prévention à l’égard de cette
maladie. » Le même jour Jack Lang,
ministre de l’éducation nationale, et
François Patriat, secrétaire d’Etat au
commerce et à la consommation,
ont cherché à rassurer les représen-
tants de parents d’élèves, chefs d’éta-
blissements et intendants scolaires.
Selon un sondage publié vendredi
10 novembre par Le Parisen-
Aujourd’hui 64 % des Français ne
souhaitent pas que de la viande de
bœuf soit servie dans les cantines
scolaires. La direction du CHU de
Nantes a annoncé qu’elle retirait la
viande de bœuf dans les menus pro-
posés aux malades dans les services
de pédiatrie et à la crèche de l’établis-
sement. La Conférence des direc-
teurs généraux de centre hospitalier
universitaire (CHU), où sont servis
chaque année 60 millions de repas, a
toutefois décidé de continuer à ser-
vir de la viande bovine aux patients
hospitalisés. Loin de rassurer l’opi-
nion la mesure proposée au gouver-
nement mardi 7 novembre par les
responsables de la Fédération natio-
nale des syndicats d’exploitants agri-
coles (FNSEA) de programmer la
destruction de tous les bovins nés
avant juillet 1996 a brutalement
ajouté à l’inquiétude générale.
« AJOUTER À LA PSYCHOSE »
Vivement critiquée par Jean Glava-
ny, ministre de l’agriculture cette
hypothèse est condamnée par la
Confédération paysanne qui estime
qu’elle « ajoute à la psychose ». «La
filière bovine guidée par la FNSEA ten-
te d’utiliser la situation pour masquer
les responsabilités de sa politique pro-
ductiviste, estime la Confédération
paysanne. Elle affole l’opinion. Les
maires en pré-campagne électorales
et les hésitations du gouvernement en
rajoutent dans la crise de confiance
des consommateurs. Et les produc-
teurs de viande bovine vont sombrer
dans d’énormes difficultés alors qu’ils
sont victimes de la maladie. »
David Byrne, commissaire euro-
péen chargé de la santé et de la sécu-
rité des consommateurs s’est félici-
té, lors d’une conférence de presse
organisée jeudi 9 novembre à Paris
des mesures « très strictes » prises
par la France pour lutter contre l’épi-
démie de la vache folle. Interrogé
sur l’opportunité d’étendre à l’éche-
lon européen la mesure d’abattage
et de destruction des bovins nés
avant 1996, M. Byrne a expliqué que
les experts scientifique de la commis-
sion européenne allaient examiner
si une telle pratique était de nature à
augmenter le niveau de sécurité ali-
mentaire. Concernant l’interdiction
définitive des farines animales dans
l’alimentation des animaux d’éleva-
ge réclamée par Jacques Chirac, M.
Byrne a rappelé que cette mesure
était en vigueur en Grande Bretagne
et au Portugal – deux pays où l’inci-
dence des cas de vache folle est éle-
vée – et que « la France était libre de
faire de même. »
Pour M. Byrne, l’augmentation du
nombre des cas de vache folle en
France résulte selon toute vraisem-
blance de pratiques frauduleuses
dans la fabrication ou l’usage des ali-
ments pour animaux. Quant aux
mesures d’interdiction de la viande
de bœuf dans les cantines scolaires,
le commissaire européen a expliqué
qu’elles n’avait de sens que si les res-
ponsables avaient des inqiétudes
quant aux contrôles effectués sur les
viandes.Il a d’autre part souligné
que la récente décision de l’Espagne
de fermer ses frontières aux bovins
français « n’était pas justifiée sur le
plan de la santé » et qu’elle était illé-
gale au regard du droit communau-
taire.
On apprenait enfin, vendredi
10 novembre, que la ville de Genève
avait décidé d’interdire la viande de
bœuf dans les crèches et les cantines
scolaires et que l’Italie allait mettre
en place, à compter du 1
er
janvier
2001 le dépistage systématique de
l’ESB sur tous les animaux abattus et
âgés de plus de 20 mois, soit environ
800 000 têtes de bétail par an.
Jean-Yves Nau
UN VIRUS de la poliomyélite aurait contaminé le réseau d’eau pota-
ble de Strasbourg en mai, selon les informations diffusées, jeudi
9 novembre, par la direction départementale des affaires sanitaires et
sociales (DDASS) du Bas-Rhin. Aucun cas de polyomyélite n’a pour
l’instant été signalé dans l’agglomération. Le virus a été retrouvé dans
un échantillon d’eau prélevé le 13 juin : ses caractéristiques prouvent
qu’il n’avait pas été porté par un être humain, mais qu’il s’agit d’une
forme sauvage du virus, sans doute utilisée pour des recherches.
L’enquête s’oriente donc vers un accident de laboratoire. Le 25 mai,
lors de la remise en service d’une canalisation d’eau potable, une faus-
se manœuvre avait mélangé un court instant le réseau d’assainisse-
ment aux eaux de boisson. De nombreux cas de gastro-entérites
avaient été signalés et plusieurs quartiers du centre ville avaient été
privés d’eau potable. La poliomyélite a aujourd’hui disparu en France
après l’apparition des vaccins au milieu des années cinquante.
DÉPÊCHES
a VIOLENCE : un adolescent de 16 ans est décédé, mercredi
9 novembre, en pleine rue à Beauvais (Oise) après une empoignade
avec un jeune de son âge qui lui a asséné une simple gifle. Les deux
lycéens, qui ne se connaissaient pas, se sont croisés sur le trottoir.
Leurs épaules se sont heurtées, Yahia a giflé Clément qui s’est éloigné
de quelques pas avant de s’écrouler, plongé dans un coma dont il n’a
pu être ranimé. L’auteur du coup a été interpellé sur place et a recon-
nu les faits tandis qu’une autopsie de la victime a été ordonnée par le
parquet de Beauvais pour déterminer les causes exactes de la mort.
a LOGEMENT : un «marchand de sommeil», qui louait des cham-
bres dans un immeuble insalubre du quartier du port à Nice à des tra-
vailleurs originaires d’Afrique du nord en situation régulière, a été mis
en examen et écroué à la prison de Nice mercredi 8novembre. Michel
Hoff, agent immobilier à Nice, a été mis en examen pour abus de con-
fiance, abus de biens sociaux et hébergement dans des conditions con-
traires à la dignité humaine.
a JUSTICE : le parquet de Nanterre a ouvert, jeudi 9novembre,
une enquête préliminaire visant la Caisse d’allocations familiales
(CAF) des Hauts-de-Seine. Confiée à la police judiciaire de Nanterre,
cette enquête fait suite à des informations parues mercredi dans le
Canard Enchaîné relatives au train de vie des responsables de la CAF.
L’hebdomadaire rapportait que la CAF du département avait pris l’ha-
bitude d’offrir des cadeaux dispendieux à ses administrateurs et à cer-
tains de ses cadres.
La Commission européenne annonce
la création d’une « Autorité alimentaire »
Les boursiers sont comme les consommateurs : dans le doute,
ils s’abstiennent ou reportent leurs achats sur d’autres produits.
Jeudi, à la Bourse de Paris, la chaîne de restaurants à thème « Buf-
falo Grill » a vu son action chuter de 6,35 %, tandis que Duc, l’ex-
filiale de « poulet certifié » de feu le groupe Bourgoin, a fait un
bond de 7,75 %. Depuis le 20 octobre, date de la découverte de lots
suspects chez Carrefour, l’enseigne d’hypermarchés a perdu près
de 11 % en Bourse, tandis que le groupe volailler LDC a gagné 5 %.
Le groupe Flo (Hippopotamus) est, lui, en chute de 15,6 %.
En revanche, les sociétés intéressées aux tests de dépistage de
l’ESB se frottent les mains : AES Laboratoire, qui distribue en
France le test suisse Prionics, s’est envolé de 64,5 % depuis le con-
trôle des produits alimentaires, a dû se contenter d’un gain de
0,23 %, mais depuis un an sa valeur boursière s’est appréciée de…
367 %.
BRUXELLES
de notre bureau européen
La Commission européenne
vient d’adopter et de soumettre
aux Quinze des propositions visant
à définir les principes et règles de
droit alimentaire qui devront s’ap-
pliquer d’un bout à l’autre de
l’Union et à créer une « Autorité
alimentaire européenne ». Ce nou-
veau dispositif, approuvé mercredi
8 novembre, ne pourra entrer en
vigueur que dans quelques mois, à
l’issue du long processus législatif
en vigueur dans l’Union européen-
ne (codécision avec le Parlement
européen). L’objectif affiché par
David Byrne, le commissaire res-
ponsable de la politique de santé
et de la défense des consomma-
teurs, est apparemment simple :
assurer un haut niveau de protec-
tion sanitaire aux ressortissants de
l’Union, tout en permettant le fonc-
tionnement normal du marché
intérieur.
Mais le malheur veut que,
depuis mars 1996, date du déclen-
chement de la crise de la vache fol-
le au niveau européen avec la déci-
sion bruxelloise d’imposer un
embargo sur les exportations de
bœuf britannique, l’Union et ses
très lourdes méthodes bureaucrati-
ques se sont révélées impuissantes
à gérer la crise et donc à rassurer
le consommateur. Selon les Etats,
la réglementation demeure diffé-
rente sur les matériels à risque, sur
les tests, sur l’usage des farines ani-
males, et le chaos s’installe chaque
mois davantage sur les marchés.
Le corps de doctrine juridique
que la Commission cherche à pré-
sent à mettre en place demeure
apparemment de portée très géné-
rale : exigences imposées en ter-
mes de sécurité pour la commer-
cialisation de nourriture, encadre-
ment et contrôle des aliments
pour animaux (dont les fameuses
farines de viandes) lorsqu’ils peu-
vent avoir un impact sur la santé.
La nouvelle législation européen-
ne intégrerait les règles existantes
en matière de traçabilité et s’effor-
cerait de préciser les responsabili-
tés des différents acteurs de la
chaîne alimentaire, depuis le pro-
ducteur d’aliments pour bétail jus-
qu’aux commerçants.
Le principal intérêt de la nouvel-
le agence sera de fonctionner en
réseau avec les organisations natio-
nales existantes, de permettre ain-
si une coordination jusqu’ici
défaillante et par là même d’éviter
des conflits dommageables, tel
celui survenu voici quelques mois
entre l’Agence française et le Comi-
té scientifique de l’UE à propos du
danger que pourrait toujours com-
porter pour le consommateur l’ex-
portation de bœuf britannique.
PANELS SCIENTIFIQUES
La nouvelle « Autorité » sera
indépendante, avec un conseil d’ad-
ministration nommé pour cinq ans
où siégeront des représentants des
administrations nationales, de la
Commission, du Parlement euro-
péen, ainsi que des différentes pro-
fessions concernées. Elle assurera
ses missions en s’appuyant sur une
petite dizaine de panels scientifi-
ques et devrait disposer d’ici à trois
ans d’un personnel de 250 person-
nes (porté ensuite à 330), l’ensem-
ble étant doté d’un budget de
40 millions d’euros.
L’Agence aura pour tâche de
gérer au jour le jour le système
d’alerte rapide mis en place en cas
de crise. Mais, en fait, c’est la Com-
mission, en relation avec le conseil
des ministres et le Parlement, qui
gardera la haute main sur les déci-
sions opérationnelles tels les
embargos. La cascade de comités
actuellement en place pour enca-
drer l’action de la Commission et
du conseil devrait se trouver sensi-
blement simplifiée.
Philippe Lemaître
Entre déclarations rassurantes et menaces d’em-
bargos contre les produits français, la crise de la
vache folle a pris un tour cacophonique, jeudi 9
novembre. Tandis que le directeur général de
l’Afssa affirmait qu’aucun élément nouveau ne
pouvait justifier de nouvelles inquiétudes, un
sondage, les indicateurs boursiers et plusieurs
décisions traduisent la montée de la méfiance
parmi les consommateurs français.
Le bœuf n’a plus la cote en Bourse
Contamination du réseau
de distribution d’eau à Strasbourg
SOCIÉTÉ
Vache folle : la méfiance des consommateurs
est alimentée par des déclarations contradictoires
Le commissaire européen chargé de la santé se félicite des mesures « très strictes » prises par la France
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